La première fois que j'ai posé les yeux sur Nerval et plus particlièrement sur ses Chimères, je n'ai pas entendu son chant... je n'ai pas réussi à pénétrer son univers poétique ; j'ai eu peur. Aujourd'hui cela résonne fort en moi... et l'Absolu s'impose magistralement....
EL DESDICHADO
Je suis le ténébreux, -- le veuf, -- l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte -- et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la syrène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Aquéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Myrtho
Je pense à toi, Myrtho,divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillants,
A ton front inondé des clartés d'Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse.
C'est dans ta coupe aussi que j'avais bu l'ivresse
Et dans l'éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d'Iacchus on me voyait priant
Car la muse m'a fait l'un des fils de la Grèce
Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est rouvert..
C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile,
Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert.
Depuis qu'un duc normand brisa tes dieux d'argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
La pâle Hortensia s'unit au Myrthe vert !